Se mettre à nu, se révéler. C’est avoir peur du regard de l’autre, c’est se dévoiler, c’est aussi être sûr que c’est le moment, le bon moment.
La vie d’artiste ne se résume pas qu’à une vie de bohème, de complétude, de certitude, de mythomanie, de prétention.
Loin de là ! C’’est aussi un travail acharné, déstructurant, une remise en question perpétuelle. Chaque matin, chaque soir, chaque jour, sont habités par le doute, suivis de moments d’exaltation le plus total.
A chaque nouveau projet, idée, envie, besoin, un travail de recherche se met en route, une phase de test s’ébranle, parfois très frustrante. A chaque fois c’est sortir de sa zone de confort, c’est se mettre en danger, c’’est se regarder renaitre ! C’est comme une histoire d’amour, c’est comme la vie, nous ne savons jamais ce qu’il va se passer.
Mais on y va, c’est vital, c’est viscéral, c’’est se sentir encore vivant, c’’est ressentir les choses, c’est sentir la peur, c’est être mal, c’est être excitée, c’est sortir de soi, c’est exulter. Mais on sait au plus profond de nous, que nous n’avons pas le choix, que nous sommes fait de cette matière si particulière faite de passion, d’angoisses, et de glorification. C’est une remise en jeu de qui nous sommes, on pose cartes sur table. On a parfois ce sentiment de tout perdre, de tout donner, pour ne rien recevoir en échange, que tout ceci ne sert à rien, ne mène à rien. Pour qui nous prenons-nous pour prétendre passer un message, une révolution? Parcequ’il ne faut pas se voiler la face, la création est faite pour être vue, pour être appréciée, achetée aussi, même critiquée. Nous en avons besoin, pour vivre, oui bien sûr, pour continuer à exister dans une société de consommation mais aussi pour continuer à se lever le matin, à prendre soin de nous et des siens. On est fait de cela, on vit pour cela. Il y a un enjeu au-delà de l’entendement.
Je prends la plume en ce petit matin de cette fin mars de 2022, parce que je n’avais pas eut le courage jusqu’à présent après l’exposition « Comme si j’étais dans mon corps » d’écrire sur cela. Il me fallait digérer et comprendre ce qu’il s’était joué à ce moment-là. Ce travail sur l’héritage émotionnel, c’est le travail de ma première partie de vie artistique, de femme, de mère. Je n’en connaissais pas encore l’essence avant l’’accrochage sur les murs blancs d’une galerie. Je n’avais pas encore compris quel était mon message, qu’est ce que j’avais tramé durant toutes ces années autour du labeur, de ces moments de crises, de questionnements, d’attentes, de joies aussi. Je l’ai vraiment compris lorsque les premiers visiteurs sont arrivés, des gens que je ne connaissais pas, ceux qui sortaient de mon cercle amical, familial. J’en ai pris conscience lorsque leurs premières impressions m’ont été dites, balbutiées. Je l’ai compris dans l’émotion que les gens m’ont transmise en me racontant leur propre histoire, en revenant, en restant, en achetant, en me passant commande. Moi qui était persuadée de ce travail était triste, sombre, déprimant, je me suis entendu dire qu’ils étaient émus, que c’’était chatoyant, beau et coloré ! J’ai vécu pour la première fois la transmission d’un travail intime qui pouvait résonner, qui pouvait parler à « l’humanité », à l’humain, à la mamie, au couple, la mère, le père, le jeune, le très jeune ! C’est le plus beau moment que l’on puisse vivre dans cette vie d’artiste, c’est finalement la plus belle reconnaissance, la plus belle récompense. Car je me suis trop longtemps fourvoyée. Je pensais qu’il me fallait plaire et être reconnue par mes pairs, par les personnes de mon milieu professionnel, qu’eux seuls pouvaient valider mon travail, ma démarche, ma vie en somme ! C’est ce parcours que j’ai vécu depuis mon plus jeune âge mais je m’aperçois aujourd’hui que j’ai nourri mes frustrations, parce que rien ne s’’est vraiment réalisé pendant toute cette période de ma vie. J’attendais tellement d’eux, j’’attendais leur aval, leur feu vert. Combien de lecture de portfolios, combien de mails pour demander un rendez-vous, combien de stages, de masterclass… Comme j’ai pu pleurer, comme j’ai pu penser que ce que je crée ne vaut rien, n’est rien, que je ne suis rien, comme je me suis excusée de créer, de vivre, de penser. J’ai nourri ma colère, ma vie d’artiste ratée… J'ai été tellement déçue…
Mais j’ai appris, j’y ai cru parfois, cela m’’a permis de travailler, d’avoir des commandes, de faire de très belles rencontres aussi, des espoirs et des encouragements pour ne rien lâcher. Mais j’’avais toujours au fond de la gorge un goût de pas fini, de pas assez, d’amertume, de mécontentement de moi et des autres. Comme une histoire d’’amour, comme la vie ! Je n’étais jamais remplie, insatiable j’étais.
Mais je ne crache pas dans la soupe, je ne jète pas le bébé avec l’eau du bain ! C’est comme une longue thérapie, cela a fait son chemin, cela m’a nourri, cela m’a fait travailler sur ce que je voulais vraiment, sur qui je suis ! C’est long, ce n’est pas encore le bout du chemin, je ne suis pas encore morte, c’est une étape malgré mon grand âge !
Cette exposition « Comme si j’’étais dans mon corps », avec cette scénographie je l’ai toujours imaginé, parce qu’elle a été ce que je suis. J’y ai mis ma vie, mon intimité, mes peurs, mes mots, mes couleurs, mes enfants, ma famille, mes amis, mes objets. Je l’ai imaginé comme à la maison, je voulais m’y sentir chez moi, je voulais inviter l’inconnu dans mon intérieur au sens propre comme au sens figuré ! Je ne voulais pas non plus m’y sentir seule, je ne me voulais égocentrique. Alors j’ai fais comme à la maison, en plus grand ! J’ai instinctivement et instantanément su qu’il me fallait être entourée et épaulée, qu’il fallait de la découverte, des événements. J’ai ainsi invité mes amis artistes, et les amis de mes amis, à prendre possession de mon univers le temps d’une performance. Et c’’est cela aussi qui a fonctionné, qui a plu, qui a été sublime. C’est exactement comme cela que je voulais que ce soit. Et tout a été juste, tout a été facile, sauf évidemment pendant mes fameux moments de doutes qui n’ont heureusement pas duré ! En à peine un mois tout a été monté, créé, planifié. Tous les artistes invités ont eut leur place dans cet espace qui était dédié à mon travail, leur travail a résonné avec le mien. C’était beau, c’était vrai.
Alors oui, exposer, c’est s’exposer, se mettre à nu et en danger.
Mais qu’est-ce que c’’est bon, comme c''est évident !
Merci.
Bonjour Alexandra, ton texte est magnifique ! Il résonne tellement fort en moi, j’ai l’impression que j’aurais pu écrire chaque mot, jusqu’à l’exposition, car ça, je ne l’ai pas encore connu. Je te remercie du fond du cœur pour ce texte courageux. Amitiés, Agnès
Tu mets des mots sur une sensation que j’ai vécu récemment. Je suis heureuse que ton texte vienne me le rappeler. Merci aussi de ce partage sincère sur cette quête insatiable de reconnaissance de nos pairs.
On ne se connaît pas. On s’est croisé je crois une fois ou deux a des expos. Sans te connaître tu me fais ne pas me sentir seule avec mes doutes, mes angoisses et - heureusement aussi - ces moments de joies immenses. Je n’ai pas vu ton expo mais j’ai lu ce texte. Ton exposition se poursuit comme ça. :)