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Photo du rédacteurAlexandra De Lapierre Adelap

« Ne quitte pas, je te passe maman. »


Je la sens arriver appuyée sur sa canne fleurie jusqu’à la table de la salle à manger pour attraper son téléphone.

« Bonjour pupuce » elle dira.

Je lui répondrai « ça va ma vieille mère ? ».

C’est comme ça, c’est un rituel, une machine bien huilée des rôles de chacun.

Plus tard, elle raccrochera. Nous sommes le matin, j’appelle tous les matins sauf quand ça ne va vraiment pas. Elle n’a probablement pas encore fait sa toilette.

Avant, il y a eu le café au lit qu’il lui a amoureusement préparé, aux aurores, avec son plateau et ses tartines beurrées et les informations à la télévision aux pieds du lit. La fenêtre est déjà grande ouverte, la lampe de chevet sur la commode est encore allumée.

Lui, il gesticule déjà, il va, il vient, il marmonne, il baragouine en lui demandant vingt fois : « tu as besoin de quelque chose, Catherine ? »

C’est comme ça, c’est un rituel, une cérémonie, une ritournelle.

Il est déjà en train de nettoyer la cafetière, de faire la vaisselle du petit-déjeuner, de l’essuyer, de la ranger avec fracas dans les placards du couloir.

Il ira uriner dans le lavabo de la salle de bain, fera ses gargarismes.

Elle, elle reste au lit, elle a enfin son moment de tranquillité, loin de ses bruits, de ses raclements de gorges. Elle soupire, souvent, c’est l’hypertension qui produit cela. C’est son agacement, aussi, sa colère renfrognée dans ce corps meurtri, abîmé, fracassé, recousu, réparé, c’est son entêtement, sans doute, à ne jamais se plaindre.

Pendant qu’il fera sa toilette, elle se lèvera avec difficulté pour aller allumer sa première cigarette. Assise sur son fauteuil entourée de ses innombrables livres et papiers, elle regardera la météo et son compte en banque sur son téléphone.

Lui, il commencera à se préparer pour sortir : son jeans, ses chaussettes à mi-mollet, son t-shirt et sa chemise immaculés, ses bretelles, sa cravate.

C’est comme ça, c’est un rituel, une satanée habitude.

Il ira chercher ses souliers, enlèvera ses embauchoirs en bois, prendra son chausse-pieds en corne. Pied droit. Pied gauche.

Il lui demandera la liste qu’elle a préparée, mettra sa veste de costume, lui demandera dix fois si elle a besoin de quelque chose, attrapera son caddie, vérifiera deux fois s’il a bien ses clefs, son portefeuille et sa pièce de 2 € pour son jeu de grattage.

Il l’embrassera, lui dira deux fois de fermer le verrou de la porte.

Et le voilà de bon matin dévaler ses quatre étages sans ascenseur avec son caddie qui claque à chaque marche.

C’est comme ça, c’est un rituel, c’est une routine.

Elle se lèvera de son fauteuil pour attraper sa canne fleurie en soufflant, c’est l’hypertension qui provoque cela, et tournera deux fois le verrou du bas de la porte.

La voici libérée pendant la prochaine heure.

Que va-t-elle faire ?


Images et texte ©Alexandra de Lapierre

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